LA COUR DE RECREATION DES ANNEES 1953-1960
AU BAHUT
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ssis sur les berges du
lac Mandroseza, je regarde le paysage qui se découpe dans le ciel de Tana. Je
vois les évidences des monuments historiques, les vestiges du majestueux Palais
de la Reine, le profil hellénique du
Palais de Justice, l’étincelant Palais du Premier Ministre, le Temple
d'Ambohipotsy.
Dans
ce panorama, l’ancien du bahut repère le parallélépipède tronqué aux couleurs
usées par le temps : la première Ecole de Médecine de Madagascar et pour
moi, l’école primaire, l'annexe du Lycée Gallieni.
Je
me souviens du planton Antoine, vêtu de sa blouse grise, qui passait
quotidiennement dans les classes, avec son gros registre d'absence noir. Il
était chargé de faire tinter la cloche de presbytère qui sonnait la fin des
fastidieuses règles de grammaire et des calculs savants et annonçait la
récréation, synonyme d'évasion et de liberté. S'élevaient alors à l'unisson dans
les airs, les cris de joie. Premier impératif : le pipi. Puis, comme dans une kermesse, nous faisions le tour de la cour et
scrutions derrière les attroupements le jeu qui allait nous occuper le temps de
la "récré".
Nos
jeux favoris ? Les billes. Grandes, petites, en terre, en verre, en porcelaine,
et parfois en acier. Elles étaient la base de tous les jeux dont les règles
variaient.
UNE BILLE, UN PAS ; DEUX BILLES DEUX PAS.
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n enfant (A) posait une bille sur le sol. Il
faisait un pas. Un deuxième (B) devait tirer de cette distance. S'il ratait, A
gardait sa bille. A contrario, s'il
touchait, A lui rendait sa bille plus
une autre.
Nous adoptions la même
procédure pour deux billes mais nous tirions de deux pas. En général, le poseur
(A) mettait les plus petites billes
possibles tandis que le tireur utilisait de grosses billes.
A
la fin du jeu, tristesse pour les uns, joie et poches pleines pour les autres.
Les mamans désespéraient de recoudre sans cesse les poches craquées. Parfois,
un instituteur agacé, confisquait les billes du "gagnant-crâneur" qui
les faisait tinter de manière ostentatoire. Plutôt "sympa", il les rendait après la classe.
"BOKA"
"Mitsabo
loka = tsaboka" ou tout simplement "boka" : le trou.
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ous commencions par
faire un trou dans le sol en écrasant une bille avec le talon. Puis nous
tracions autour une aire circulaire d'environ 20 cm de diamètre ("ringa"). Situés à 2-3 m de ce trou,
les deux joueurs lançaient chacun leur bille. Celui qui s'approchait le plus
près du trou commençait. Le jeu consistait à toucher la bille de l'adversaire
une, deux ou trois fois (par convention avant la partie) et ensuite de rentrer
dans le trou. Si la bille de l'adversaire se trouvait dans l'aire circulaire, nous n’avions pas le droit de rentrer
directement dans le trou. Il fallait d'abord l'en chasser. Celui qui gagnait
ramassait la bille de l'adversaire si nous jouions "pour de vrai".
Par contre si nous jouions "pour de faux", nous nous contentions de
compter les points.
"PALA"
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n rectangle de 20 cm X
10 cm environ était tracé sur le sol. A une distance de 4-5 m de ce rectangle,
matérialisée par une ligne, s'alignaient les joueurs potentiels (autour de 5).
A tout de rôle chacun lançait sa bille pour s'approcher le plus du rectangle,
voir y pénétrer. Le rang de participation était ainsi défini : commençait celui
qui était le plus près. Chaque joueur plaçait alors une bille dans le rectangle
et confiait au premier joueur son palet (pala).
Le premier joueur se mettait au niveau de la ligne et tentait, en lançant le
palet, de faire sortir les billes du rectangle. Il s'appropriait toutes les
billes évacuées. Dès qu'il ratait, il donnait les palets restants au deuxième
joueur qui prenait le relais. Et ainsi de suite.
"LA ROUTE"
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n circuit était
matérialisé au sol. La largeur de la route correspondait à la largeur des deux petites mains posées au sol
pour repousser le sable qui constituait une bordure d'environ 3 cm de hauteur. Plus beau était le circuit, plus
intéressant était le jeu. Nous passions d'ailleurs plus de temps à l'élaborer.
C'est pourquoi ce jeu était réservé aux longues récréations (souvent le
dimanche quand nous étions collés!)
Nous
prenions le départ (5 à 6 joueurs, rang tiré au sort). Si nous dépassions un
concurrent au cours de la course, nous étions autorisé à jouer un deuxième
coup. Si la bille sortait du circuit, le joueur revenait à sa position
initiale. Il y avait un art particulier
pour négocier les virages.
"FOOT-BILLE"
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n terrain de foot
d'environ 2 m x 4 m était tracé au sol.
Dans le rond central, une balle de ping-pong. Chacun dans ses buts. Le premier
à jouer était tiré au sort. Débutait alors la partie. Il fallait tout d'abord
approcher sa bille le plus près possible de la balle. Celui qui était le plus
près continuait le jeu ; chacun jouait à tour de rôle. Si un joueur touchait la
balle, il continuait (driblait) et s'il était habile et malin, il pouvait, par
petites touches, amener la balle au but. Mais dès qu'il ratait, l'adversaire
reprenait le cours du jeu. Si nous heurtions la bille de l'adversaire, il y
avait coup franc. Nous pouvions alors le jouer de manière indirecte ou directe
en demandant un tir au but. L'adversaire se mettait dans ses buts et essayer
avec sa bille de contrer le tir.
Les
billes donnaient lieu à de nombreux autres jeux. Mais passons au jeu des
"joueurs"
"JOUEURS" " JOERA"
A |
u sol était matérialisé
un terrain de foot de 2 m x 4 m (ou plus). Les "joueurs" étaient
ensuite positionnés (1, 2, 3, 5 comme au baby-foot). Ils étaient constitués de
petites pièces de porcelaine de 3 cm de diamètre. Inutile de vous dire qu'un bon nombre d'assiettes se cassait par
hasard pendant les vacances (pardon maman!). C’était impossible au bahut car
les couverts étaient en acier ! Le capitaine arborait une couleur
différente. Le gardien de but était une
pièce de tuile (8 x 4 cm) ou tout simplement une boite de sardine vide (sardine
"Robert" évidemment, il me semble aujourd'hui que c'étaient les
seules à exister sur le marché). Cette pièce se tenait sur la tranche et
pouvait être orientée pour contrer les tirs.
La balle était une
graine de jujube ou mieux parce que plus légère, une boule de plastique
chauffée. Les règles du jeu étaient identiques à celles du foot : coup franc si
on touchait un joueur de l'adversaire, touche, hors jeu etc…
"CAPSULES " "KAPSILY"
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ous utilisions
principalement des capsules de bouteilles de limonade. Celles de coca, fanta,
sprite, "classico", n'étaient pas encore à la mode. Pour la bière, il
y avait déjà notre "THB" national et "Bock". Oups ! La
publicité est interdite ! Plus le côté pile (convexe) était coloré, plus la
capsule était prisée.
Nous
tracions une ligne au sol. A 2-3 m de là s'alignaient les joueurs. Chacun
lançait sa capsule pour s'approcher de la ligne. Cette capsule était
particulière car elle était lestée. Le
rang de participation était ainsi défini. Le premier récupérait alors la
capsule de chaque joueur (2 à 5), les empilait dans sa main (obligatoirement la
face concave vers le haut), et les lançait en l'air. Il gagnait toutes les
capsules dont le côté pile était apparent. Il fallait être doté d'un bon jeu de
poignée pour gagner. C'était là une manière ludique de se constituer une
collection de capsules.
Le
même jeu était réalisé avec les profils de stars, couleur bistre, que nous
trouvions sur les paquets de cigarettes "Mélia Rouge". Rock Hudson,
Gina Lolobrigida, Erol Flyn, Burt Lancaster et tant d'autres en étaient les
vedettes.
"COURSE DE VOITURES MINIATURES"
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h… Les "Dinky
Toys" : Citroën 15x6, DS 19, Peugeot 203, Simca Aronde… Ce jeu était
généralement réservé aux pensionnaires et demi-pensionnaires, entre 13h et
13h30 après le déjeuner, juste avant le départ pour l'annexe
d'Ankadrinandriana, ou le dimanche. La piste était constituée par la dalle de
béton qui reliait, et relie toujours d'ailleurs, le grand escalier côté lycée à
la rue Andriamanalina (ex J.
Laborde). Cette dalle représentait en fait la limite entre les terrains de
sport (volley, basket, piste de course, saut en hauteur, en longueur…) et la
partie jardin (kiosque, jardin d'agrément). Sur cette piste se mesuraient les
meilleurs pilotes (Fangio à l'époque, nous dirons Schumacher, Alonzo
aujourd'hui). Si nous quittions la piste ou si nous "capotions", il fallait revenir à sa position initiale.
Pour mieux stabiliser les véhicules nous les lestions de plomb (nous confiions
pour cela nos véhicules aux meilleurs mécaniciens). Parfois les voitures
lestées n'étaient pas autorisées par la commission des courses. Nous y étions
vraiment !
Il
y avait aussi des jeux, plus musclés.
"POLICE-VOLEURS"
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out le monde connaît le
jeu du "drapeau" que se disputent deux équipes ou encore le jeu de la
"chandelle", mais connaissez-vous celui de "police-voleurs"
?.
Dix
à douze participants, répartis en deux équipes, s'établissent dans deux camps :
la prison et la "zone". Les voleurs sortent de leur base et les
policiers essaient de les coffrer. Si l'un des voleurs est pris, il est jeté en
prison. Dans un deuxième temps le jeu consiste à délivrer celui-ci. Pour cela,
la stratégie des voleurs est de sortir tous ensemble et pendant que certains
font diversion en s'éloignant de la prison, l'un des voleurs va essayer de
délivrer son acolyte, en le touchant simplement.
Que
de kilomètres parcourus, que de muscles bandés, que de cages thoraciques
gonflées !
"VOLLEY-BALL"
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e jeu était aussi
réservé aux pensionnaires et demi-pensionnaires, entre 13h et 13h30 après le
déjeuner ou 16h et 17h après le goûter,
généralement constitué d'une tranche de pain et d'une côte de chocolat
"Robert " (et oui déjà!).
Derrière
la Pergola, maintenant disparue, se trouvait une grille métallique d'environ
1,30 m de haut. Nous tracions le terrain de part et d'autre de cette grille qui
nous servait de filet. Chaque équipe était composée de 5 joueurs.
La balle ? Chaque joueur
confiait son mouchoir et il fallait s'empresser de le donner car le dernier
constituait l'enveloppe.
De nombreuses équipes participaient alors à
des tournois.
Voilà
comment nous occupions les récréations. Plus tard et plus grands, nous passions
notre temps à faire du sport (volley, baskett[1],
ou hand) ou à jouer à la
"belote" à l'ombre des grands arbres. Nombreux étaient aussi ceux qui
rêvaient, et regarder passer les filles des sœurs qui se rendaient au
catéchisme ou à la messe à la cathédrale d'Andohalo.
Michel
Grouzis
(Tana 25/10/2005)